lundi

Chapitre 11 - SWEET LITTLE SIXTEEN - extraits...


"En ce dimanche après-midi, la salle de théâtre est comble et bruisse de l'agitation et des voix de l'auditoire. Au premier rang, autour de sœur Marie-Xavier, la directrice de l'école, s'alignent son adjointe, sœur Marie-Dominique, frère Benoît, l'aumônier de l'école, frère Amédée, le responsable de l'animation, la sœur économe, les professeurs...
Derrière eux, au niveau du parterre, se tiennent les parents et leurs invités, puis les élèves. Le balcon est occupé par ceux qui veulent se tenir à l'écart... S'y perchent de jeunes agités volubiles, dont François et sa bande, les copines de Béa qui ne veulent pas perdre une miette du numéro des deux filles se produisant bientôt, entre une scène de jonglage et un sketch de Fernand Raynaud, c'est dire si elles vont être rafraîchissantes...
Elles sont annoncées par un tout jeune « Monsieur Loyal » à queue de pie.
- Et maintenant, vous allez entendre et admirer le célèbre duo américain Sonny and Cher qui va vous chanter son fameux tube « I Got You Babe » !
Le rideau rouge s'écarte sur les deux interprètes saluées par les applaudissements tempétueux de la galerie...
Les premières notes résonnent dans l'antique théâtre où les filles font une apparition remarquable, Béatrice s'essaye au chant, micro timide à la main, voix chevrotante :
« They say we're young and we don't know
We won't find out until we grow...»
Dominique enchaîne :
« Well I don't know if all that's true
'Cause you got me
And baby I got you
Babe...»


"Sur le « I Got You Babe » final, elles se ploient vers le public sous un déluge d'applaudissements et de sifflets... L'auditoire du balcon fait un boucan d'enfer, tape des pieds et des mains, réclame un bis, et fait se retourner vers lui, dans un élan désapprobateur, le premier rang du parterre, dont sœur Marie-Xavier qui fronce les sourcils et frère Amédée, l'air embarrassé par ce chahut...
Les starlettes ne quittent plus la scène, illuminées, savourant leur petit succès, Béatrice distingue François, là-haut, qui s'agite comme un beau diable, les deux doigts dans la bouche, il siffle et crie :
* * *
"Béa entend toquer au carreau de la porte et son cousin pénètre en bourrasque dans la pièce, il se reprend et recule d'un pas vers le seuil où il tape ses bottes terreuses.
- Not yet...
- Je vois que t'as bien avancé, tout est clean ici!
Il repère la pile de disques.
- T'as fait une play list ?
- Non, je t'attendais...
Il s'approche, farfouille sur une étagère dont il extrait un vinyl qu'il pose sur la platine-disque :
- Tiens, chérie, tout spécialement pour toi...
Le fabuleux morceau de Chuck Berry retentit :
« They're really rockin Boston
In Pittsburgh, P.A.
Deep in the heart of Texas
And 'round the Frisco Bay
All over St. Louis
Way down in Nex Orléans
All the Cats wanna dance with
Sweet Little Sixteen... »
François projette son blouson de cuir sur un siège, claque des doigts, bouge son bassin et attrape les mains de sa cousine, il l'a fait balancer de droite à gauche, puis tournoyer et finit par l'entraîner dans un rock rapide... Elle se laisse emporter par la musique et mener par la solide poigne du garçon..." 
* * *
"Les deux cousins font leur choix dans un silence pesant. Ils finissent par se détendre et s'amuser des exemplaires poussiéreux, aux pochettes écornées, remisés ici par leurs parents. Les chanteurs de la période Yéyé, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Frank Alamo, Claude François... Les classiques, Jean Ferrat, Georges Brassens, Georges Moustaki... Et puis, les doyens, qui sortent rarement de leur emplacement, Charles Trenet, Tino Rossi, Maurice Chevalier, les Compagnons de la Chanson, Edith Piaf... Béatrice distingue ce dernier disque et s'exclame :
- Il est dédicacé, « Pour Emeline, si jolie... Edith »...
- Ma mère l'adorait, elle m'a raconté l'avoir vue à la salle des fêtes de Dreux en décembre 1959, Edith n'a pas terminé son concert, elle s'est effondrée sur scène et a été évacuée en civière. Elle était déjà bien malade, dépressive, droguée...
La jeune fille est touchée par la photo de la pochette, la chanteuse expose un visage douloureux, marqué, elle porte une robe noire et une croix pend à son cou... Béatrice murmure :
- Je ne suis pas fan d'Edith Piaf, mais, «L'hymne à l'Amour » est une chanson bien émouvante qui me donne la chair de poule...
Elle chantonne : « Si un jour, la vie t'arrache à moi, Si tu meurs que tu sois loin de moi, Peu m'importe si tu m'aimes, Car moi je mourrai aussi...»


Machinalement, elle écarte la pochette et fait glisser la galette, deux feuilles de papier s'extraient en même temps..."
* * *
"François a ignoré sa cousine jusqu'au moment où le slow qui la fait frissonner le plus au monde se fait entendre, « Nights in White Satin », des Moody Blues... Il semble que ce morceau soit la commande expresse du garçon qui pique sur sa proie alors qu'elle se tient en retrait... Sans un mot, il se penche sur Béatrice, lui attrape la taille et commence à tourner...

« Nights in White Satin
Never reaching the end... »
La jeune fille, est maintenue étroitement tout contre son cousin. Il pose son menton dans le creux de l'épaule de Béa, appuie ses lèvres sur son cou... Elle frémit et ferme les yeux. Elle se laisse bercer, ne souhaitant pas réfléchir à leur situation délicate... Leur danse intime et isolée est remarquée par la plupart de leurs amis, perplexes... Clotilde est en transe, elle manque de se précipiter sur le couple, retenue à temps par la poigne sèche de Chantal :
- Fous leur la paix !
- C'est dégueulasse ! C'est mon mec, elle est sa cousine !
- C'est leur problème..."
* * *
Il n'est pas allé bien loin, aveuglé par la nuit et sa fureur, il a raté le virage à la sortie du chemin des Épinettes... La moto a dérapé, heurté le remblai d'en face et s'est brisée contre un pylône... Le garçon a été éjecté et a roulé sur le terre-plein.
Choqué, assommé, il s'est redressé, le corps meurtri, le visage griffé, puis il s'est traîné, boitant, vers le point de lumière qui le guidait, vers l'endroit qu'il venait de quitter.

Lorsqu'il a poussé la porte, ses amis inquiets et perplexes, commentaient avec consternation la scène de la soirée... A sa vue, ils se sont figés de stupeur.
François s'est avancé, du sang s'échappait d'une plaie qu'il avait au crâne, ruisselant sur ses vêtements déchirés. Il est tombé à genoux, puis s'est affaissé sur le côté, Béatrice a crié, elle a juste eu le temps de se précipiter pour amortir sa chute. Elle a ôté son gilet pour le glisser sous la nuque du jeune homme."

dimanche

Chapitre 10 - OH BABY BABY IT'S A WILD WORLD - extraits...



"Lors de mes premiers pas hors du lit, alors que je me traînais dans la chambre, j'ai feuilleté les journaux, entassés sur une desserte, ceux que lisaient mes parents lorsqu'ils étaient à mon chevet... Je suis tombée sur le quotidien, la République du Centre, daté du lendemain de mon hospitalisation, et mon cœur s'est vrillé à la lecture d'un des titres de la une, « Un rocker sous les verrous »... En page intérieure, une photo de Nicolas était accompagnée d'un texte : Nicolas Toulouse, leader du groupe de rock français, les Dirty Angels, a été arrêté pour détention de drogue. Il pourrait être mis en examen pour trafic de stupéfiants. Plusieurs grammes d'héroïne ont été saisis dans un local lui appartenant. Une enquête est en cours, plusieurs individus, impliqués dans cette affaire, sont entendus par la police. L'avocat du chanteur a demandé la mise en liberté provisoire de son client. Une décision du juge d'instruction devrait intervenir bientôt. S'ensuivait une légère bio de Nicolas et un récapitulatif de son parcours et du groupe...
Je suis estomaquée. Ainsi l'affaire a fait du bruit... J'ai brandi le journal sous le nez de mes parents :
- Vous m'aviez caché ça !..."


"Je ne supporte plus la maison de mon enfance, trop de drames... J'y revis en permanence la scène de mon agression. Je ne peux pas monter l'escalier sans frémir. Mes parents sont également mal à l'aise, ils me reparlent de déménager à Nice. Toutefois, j'appréhende l'idée de me retrouver seule, chez moi... Ma vie d'avant a été saccagée en quelques heures... arrestation de Nico, agression, naufrage de ma grossesse... Un voile obscur est retombé sur ma vie. Je suis passée de l'ombre à la lumière pour replonger dans les ténèbres.
Je suis affalée sur mon lit, la psyché renvoie mon image peu flatteuse, mon corps amaigri flotte dans le peignoir, mon visage est tendu et mes yeux creusés, je passe la main sur mon crâne déplumé et tâte la fine cicatrice encore bombée, je ressemble à un bagnard famélique. Je suis fracassée par des migraines dues à ma commotion que je soulage avec de l'extrait de codéine.
J'ai envie de faire tourner mon vieux Teppaz, en guise d'hommage nostalgique... Je choisis un vinyl et la douce voix sensible de Cat Stevens, chantre de mes sages veillées lycéennes, me plonge dans la mélancolie... Je m'allonge et laisse venir les larmes..."



TEASER présentation + Vidéo...