"Il
est frappé par la présence magnétique d'une jeune fille, longue
liane fine et souple, qui déambule avec aisance et légèreté...
Elle est l'image de la grâce, de la candeur, mais dégage une
certaine assurance conférée par la certitude d'être à sa place en
ce lieu, comme elle doit l'être partout, malgré son extrême
jeunesse.
C'est
ainsi que sont les adolescentes maintenant, nettement plus matures,
pense l'homme brun qui la détaille en esthète, fauché par une
émotion profonde non identifiée.
Elle
porte une jupe très mini sur des jambières en dentelle noire et des
ballerines du même ton. Ses longs cheveux bruns aux reflets rouges
ondulent et sont répandus sur un T-shirt moulant à paillettes, on
lui devine une poitrine délicate. L'ensemble pourrait paraître de
mauvais goût sur n'importe qui, sauf sur elle...
Elle
s'appuie d'une épaule au chambranle ouvragé d'une porte, elle lève
à sa bouche une coupe de champagne qu'elle lape ingénument.
Une
Lolita délicieusement provocatrice... Irrésistible, irréelle
créature de manga...
L'homme
brun se dit que celui qui osera l'approcher ne pourra faire autrement
que de l'emporter. Réalise-t'elle la jungle où elle se trouve ?
Claude s'est approché de lui pour balancer d'une voix égrillarde :
-
Intéressante n'est-ce pas ? Cette minette doit-être une apprentie
chanteuse en quête de pygmalion... Qui l'a invitée ?
-
Je ne sais pas... Elle est différente des autres greluches...
-
Tu parles ! Encore une qui se tape l'incruste et vient tenter sa
chance... Quelqu'un va la prendre en main, gaulée comme elle est...
J'essaierai peut-être tout à l'heure si elle s'est pas fait
embarquer. Pour le moment, j'ai mieux à faire que de tester les
nymphettes, Ophélie vient d'arriver...
-
C'est ça, je ne te retiens pas...
L'homme
brun fait le tour du somptueux appartement lambrissé, situé au
dernier étage de l'immeuble occupé par « Planet Prod ».
Il discute avec des gens de la profession musicale, artistique,
médiatique... Il est en représentation. Il écoute les
sollicitations, écourte les félicitations, évince les importuns,
évite les hystériques... Il garde un œil sur la divine gamine...
Ce soir, il est las de tout ce simulacre d'existence auquel il
souscrit depuis qu'il a perdu la foi.
Tout
le monde ici a remarqué l'adorable esseulée, les hommes lui jettent
des regards gourmands, les femmes des œillades jalouses. Cela va mal
finir pour elle...
Il
se décide à l'aborder, si ce n'est pas lui, un autre le fera... Il
sent qu'il ne le supportera pas. Il veut la connaître. Cela devient
urgent, impératif, vital. Elle a peut être besoin d'être
renseignée, rassurée...
Elle
le voit venir, semble même l'attendre, elle lui plante un regard
droit, dur, noir...
Il
prend un direct au cœur, tousse, est obligé de mettre une main
devant sa bouche.
Elle
le contemple, l'air ironique, un charmant sourire trousse ses lèvres
et lui dessine des fossettes...
Il
tente avec une certaine timidité :
-
Excusez-moi, mademoiselle, puis-je vous aider?
-
Possible...
-
Je ne vous ai jamais vue...
-
Je ne suis pas d'ici...
Un
accent chantant perce dans ses paroles et il s'en amuse :
-
En effet...
-
Vous vous moquez ?
-
Mais non, c'est charmant... Quel est votre nom?
-
Lola...
L'homme
est pris d'un léger vertige, il se ressaisit.
Elle
fredonne :
-
« L.o.l.a... Lola... And I drink champagne and dance all the
night... ».
II
éclate d'un rire fantastique qu'elle reçoit avec joie et fureur,
c'est bien lui, le diable de séduction signalé. Il ne perd rien
pour attendre...
-
Bravo chérie ! Tu connais tes classiques...Tu me plais...
-
N'est-ce pas ? susurre-t'elle.
-
Tu sais, bien sûr, que cette Lola n'était pas celle qu'elle
paraissait être...
-
Tout comme moi...
Il
la scrute, intéressé :
-
Vraiment...
-
Vous voulez voir ?
Lola
darde des yeux brûlants sur l'homme qui baisse le regard mais le
replace très vite sur elle. Il est ému au-delà du possible. Une
autre rencontre lui revient... Décalée, mais d'une intensité
comparable. La rencontre de sa vie. Quel est ce nouveau tour
diabolique que lui réserve le destin ? Le train de la félicité
passerait-il deux fois, ou bien est-ce celui de la rédemption ? Il
est bouleversé mais méfiant.
Pourtant,
la jeune fille l'attire incroyablement. Il la détaille lourdement,
ce regard, cette bouche, ces cheveux, ce maintien... Tous ces signes
qui le tuent, c'est un doux et tendre supplice en forme de souvenance
vibrante...
D'où
vient-elle ? C'est invraisemblable... Cette gamine lui rend plus
cruelle son actuelle solitude de nanti désabusé d'un monde
superficiel. Il réalise qu'il n'en peut plus de son vide
existentiel. Plutôt crever, ici, maintenant, que de supporter
davantage cette mascarade... Elle... lui indique le point de rupture.
Lola
le contemple, touchée, sa détermination vengeresse se craquèle...
Ce type dégage un charme flamboyant tempéré par une mélancolie
blasée... Il est farouchement séduisant avec sa chevelure noire en
pétard, striée de fils gris et son rire en cascade. Elle se
surprend à être fière de ça...
Elle
devine... Mieux, elle capte tout en un éclair... Avec sa lucidité,
son intuition, sa sensibilité. Le grand cirque de l'attraction, de
l'amour, de la répulsion... Et l'amour qui ne meurt pas, qui ne peut
pas mourir, qui ne veut pas mourir. Elle aussi est faite de cette
matière... Amour, haine, attirance, rejet...
Toutefois,
elle le tourmentera jusqu'au bout, elle murmure :
-
Vous ne dites plus rien, vous vous sentez mal?
-
Je réfléchis...
-
Super ! Un homme intelligent ici ! Vous ne vous êtes pas présenté...
-
Nicolas, Nicolas Toulouse...
-
Ah ? Ça tombe bien, c'est vous que je cherche...
-
Pardon ?
-
C'est vous que je cherche...
-
Pourquoi ? Tu as besoin de moi ?
-
Non...
-
Tu chantes ?
-
Oui... Non...
-
Je peux t'aider, si tu veux...
-
Non...
-
Pourquoi me cherches-tu, alors ?
Lola
assène avec une tranquille assurance :
-
Pour vous tuer...
Elle
pointe de son index le cœur de Nicolas :
-
Pour vous tuer, là...
-
Qui es-tu ?
Il
tremble, il blêmit...
Elle
continue :
-
Pour vous briser le cœur...
-
Il l'est déjà...
-
Non, pas complètement, il bat toujours... La preuve, vous
souffrez...
-
Qu'en sais-tu ?
-
Ça se voit...
-
Arrête ce jeu...
-
Je veux vous détruire...
-
Pourquoi, chérie ?
-
Comme vous avez détruit ma mère...
Le
coup est terrible. Il chancelle, passe la main sur son front, sur sa
poitrine. Il peine à respirer..."