"Je
suis tombée amoureuse du « Vieux-Nice », village
dans la ville, j'en sillonne les ruelles tortueuses aux façades ocre
jaune, animées d'envols d'escaliers, je m'égare dans son dédale
coloré, odorant, sonore et cosmopolite. J'ai déniché un trois
pièces au dernier étage d'un immeuble ancien, comportant un balcon
en fer forgé, des baies munies de volets persiennés, peints en
vert, qui laissent diffuser la lumière en rais obliques. L'habitat
vernaculaire de la vieille ville, de par son implantation resserrée,
protège du soleil ; les placettes, percées de fontaines, sont
des refuges d'ombre et de fraicheur. De mon appartement, j'ai vue sur
la Montagne du Château et la Baie des Anges.
J'ai
coutume de vadrouiller sur la plage aux galets roulants. Je m'assois
face à la mer, mes yeux se portent sur le camaïeu bleu de
l'horizon, là où le ciel se fond dans l'eau, je me sens minuscule,
à l'extrême bord de mon continent..."
"Au
jardin du Vieux-Château, un mini festival de musique
populaire est donné une fois par an, au mois de mai. J'y vais
rarement... Sauf cette fois car la fille d'Antoine s'y produit avec
son groupe et Lola, qui vient d'avoir onze ans, veut voir jouer sa
baby-sitter...
On
accède au promontoire boisé, qui offre une vue grandiose sur la
vieille ville, la Baie des Anges et le port, par une allée
goudronnée ou, plus directement, par un sentier qui serpente dans la
rocaille.
Une
foule familiale et endimanchée s'y presse, une estrade est dressée
pour le spectacle et des stands de jeux sont installés pour les
enfants. Ma gamine cours d'une attraction à l'autre, elle a retrouvé
des camarades d'école. Elle porte une robe claire volantée, petite
elfe au corps menu et bronzé dont les longs cheveux noirs ondulent
et virevoltent dans le dos."
"Je
surveille Lola qui attend son tour près du chariot aux couleurs
vives du marchand de glaces ambulant. Elle reçoit un cornet
débordant de crème glacée rose et jaune qu'elle commence à lécher
avec application. Je la hèle et elle s'élance avec son trophée. A
ma gauche, une silhouette noire s'extraie de la masse humaine
compacte et mouvante, elle m'est si familière qu'il me semble
l'avoir quittée depuis quelques secondes... Elle me précipite en
arrière pulvérisant l'espace temps des années qui nous séparent.
Jeans
râpés, blouson élimé, cheveux noirs en pétard, allure vive et
décidée, le garçon n'a, apparemment, pas changé. Je me pétrifie,
transformée en statue de sel, respiration coupée, cœur en
déroute...
Sa
trajectoire va croiser celle de Lola qui file me rejoindre...
J'assiste, impuissante, au télescopage. La fillette, déséquilibrée,
laisse choir sa glace aux pieds de l'homme en noir qui la rattrape
aux épaules. Tous deux contemplent le cornet éclaté et son contenu
répandu...
Nicolas
a gardé une main sur Lola, buste penché, il lui parle, elle
acquiesce de la tête et ils se dirigent vers le vendeur de glaces."
***
J'ai
pris mes dispositions pour me libérer momentanément de mes
obligations professionnelles. La moins heureuse était Lola, qui
appréciait peu mon départ et de loger chez ses grands-parents :
-
Tu pars combien de temps ?
-
Trois semaines...
-
Je viens avec toi...
-
Et l'école ?
-
Bof...
-
Quoi, bof ?
Il
était hors de question qu'elle me suive, je lui ai proposé de me
rejoindre pour les vacances de Noël, cela correspondait à son
concours de musique, elle était sélectionnée et j'en étais fière.
Elle s’entraînait sérieusement avec sa guitare sèche, répétant
des chansons d'Emmylou Harris, de Linda Rondstadt... Avec ses longs
cheveux bruns, son petit visage concentré, ma fille ressemblait à
une jeune prêtresse folkeuse, sa voix était haute et claire,
s'éraillant parfois, son jeu net et précis. J'étais
impressionnée... Je pensais que son père ne l'aurait pas reniée et
serait tombé à genoux devant tant de grâce virginale, lorsque
perchée sur son tabouret, elle me proposait une chanson :
-
Ecoute-bien maman, c'est « To Daddy » de
Emmylou...
« Mama
never seemed to miss the finer things of life
If
she did she never did say so to daddy
She
never wanted to be more than a mother and a wife
If
she did she never did say so to daddy
The
only thing that seemed to be important to her life
Was
to make our house a home and make us happy
Mama
never wanted any more than what she had
If
she did she never did say so to daddy... »
Le
réalisme de ces paroles m'avait fauchée, j'avais détourné la tête
pour qu'elle ne me voit pas pleurer. Ma Lolita frôlait les étoiles,
si proche d'atteindre sa révélation. ».
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