"Objectif : Mont-de-Marsan – Nicolas a mis le cap sur cette petite ville landaise. S'y déroule du 5 au 6 août le deuxième festival rock de son histoire. Y sont attendus des groupes phares, représentatifs de la scène punk-rock. Cette expression musicale qui vient d'éclater puise son inspiration et son énergie dans l'actuelle crise économique britannique qui touche plus particulièrement les classes populaires."
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"Les festivaliers ont investi les arènes, le soleil cogne en cette fin d'après-midi, la poussière ocre du sol se soulève sous les piétinements répétés et m'assèche la gorge. Je me suis éloignée de la scène pour trouver de l'eau et m'asseoir sur les gradins. J'ai vu plusieurs groupes mineurs dont Les Maniacs, Tyla Gang... Le chanteur des Damned m'a impressionnée avec son attitude de fantasque possédé. J'ai largement craqué pour un groupe inconnu, Police, et son morceau « Next to you »... J'ai repris avec la foule le refrain de leur « Born in the 50's » :
« Would they drop the bomb on us
When we made love on the beach
We where the class they couldn't teach
Born, born in the fifties
Born, born in the fifties... »
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"Les rues de Mont-de-Marsan sont envahies par des hordes de jeunes amateurs de rock, curieux de la vague punk. Ils déambulent, se mêlent à une population d'autochtones étonnée de découvrir une espèce incongrue de bipèdes.
Beaucoup de garçons portent encore les cheveux longs, reliquat des années baba cool. Peu de coupes reflètent l'exigence actuelle, les crêtes décolorées, teintées, sont minoritaires. Les tenues vestimentaires sont davantage décontractées que déstructurées. Des t-shirts amples, des chemises ouvertes, des jeans larges et des sacs-à-dos, constituent la panoplie du festivalier moyen. Cependant, quelques-uns ont commencé leur mue, elle évolue en passant par des étapes improbables entre le hippie dépenaillé et le vampire grimaçant bardé de chaînes et de cuir clouté. Cela se traduit d'abord par une tonte expresse sur un coin de trottoir, des t-shirts déchirés hâtivement dont les lambeaux sont retenus par des épingles à nourrice trouvées à prix d'or à la mercerie du coin en rupture de stock, des chemises aux manches arrachées, taggées No Future. Cela fleure bon le punk artisanal et rural, non issu de la boutique « Sex » de Viviane Westwood qui monnaie ses déguisements de punk de parade."
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"J'ai adoré le jeu des Clash et leur caractère guerrier-militant ; la voie rocailleuse de Joe Strummer se plaque avec conviction sur « Police and Thieves, London Burning, White Riot... ». Les quatre garçons à l'allure de chats efflanqués et agressifs martèlent leurs instruments et leurs refrains avec l'énergie de la jeunesse révoltée."
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"Les garçons sont réveillés et tentent de faire du café, à l'arrière du camion, à l'aide d'un mini-réchaud à gaz. Ils sont équipés façon campeurs épisodiques avec un minimum d'ustensiles ménagers... Nico a la tignasse en bataille et la petite mine du dormeur non assouvi. Peu inspirés par la tambouille, nous décidons de prendre un vrai petit-déj en ville avant le mini-concert des garçons."
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"Fatigue, chaleur, pétard et Valstar n'ont pas fait bon ménage chez moi, mais après du repos et quelques verres de Coca, je suis revigorée. A nouveau sur pieds et dans l'arène, j'assiste à la charge rock de Little Bob Story qui embarque le public au bord du délire. La voix éraillée de Petit Bob plane au dessus des poings dressés : « You make me Crazy, Riot in Toulouse », cassent la baraque et retentissent en écho circulaire pour revenir massacrer divinement nos oreilles ; very, very, High Time..."
"Docteur Feelgood n'a pas enflammé la foule. Sans Wilko, le groupe a perdu son âme. Lee Brilleaux est un seigneur titubant on stage mais il a gardé la hargne dans sa voix extraordinaire et ça fait toujours de l'effet... Respect..."
"Trois heures du matin - Bijou joue sec et serré, Dauga et Palmer alignent nerveusement leurs guitares au bord de la scène et tiennent leurs trois rappels. Je ne ressens plus la fatigue, la soif, j'ai les jambes légères et la tête au paradis...
« Que tu vives à la ville, vives à la campagne
Riche ou pauvre, masculin, féminin
Que tu pointes à l'usine, à l'école, au chômage
Génie, cloche ou malin
Danse, danse, joue avec moi, Danse, danse, danse avec moi
Danse, danse, joue avec moi, Danse, danse, danse avec moi... »
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"Je suis portée par les ondes musicales d'un univers composé de pures vibrations rock'n'rolliennes. Mon amoureux ne me lâche pas des yeux et me fait rempart de son corps. Je le sais à la fois inquiet et dérouté par la force des sentiments que je lui inspire. Je sais aussi qu'il est d'accord pour m'inscrire dans son histoire et qu'il m'a fait une place dans son univers. Il est des certitudes incontestables...
La musique s'est tue mais elle a continué de diffuser dans nos deux corps rapprochés et enlacés. Et l'orage a craqué... Un déluge de pluie s'est abattu sur toute chose. Nous sommes collés, ruisselants, sous les larges gouttes qui s'explosent. Nous sommes liés et indéboulonnables, à l'image de ces statues de bronze au milieu des jardins publics, dressées à tous vents, sous les intempéries, figées dans leur posture pour l'éternité... Nicolas, je t'aime pour la vie..."
"Je maintenais une part en équilibre sur une cuillère de service qui tremblotait dans ma main. Les conversations avaient stoppé depuis un moment et les regards affolés des invités alternaient entre les deux combattants. Rachel a crié :
- Non Béa ! Arrête !
Trop tard, ma main vengeresse s'est détendue et a expédié la portion de gâteau crémeux en direction de Nico... Elle s'est explosée sur son assiette pour se disperser en plusieurs morceaux gluants et chocolatés autour de lui et sur son t-shirt.
L'assistance s'est pétrifiée et Nico a hurlé :
- Tes folle ou quoi ?
J'ai senti vibrer sa colère alors qu'il se levait brusquement en repoussant sa chaise. Il a commencé à faire le tour de la table dans ma direction et je me suis sauvée en tournant en même temps. Je me suis précipitée hors de la pièce, enfilant le couloir à toute vitesse, Nico sur mes talons..."
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"- Jusqu'où vas-tu avec les figurantes ?
- Nulle part, c'est avec toi que je veux tracer ma route...
- Dois-je te croire ? Au final, c'est moi la droguée ! Je suis malade et en manque de toi quand tu n'es pas là...
- Ah ! Tu vois ! On est pareil !
- Le raccourci !
Ses lèvres cherchent les miennes, un flot d'ocytocine et de dopamine m'inonde !... C'est la révolution chimique amoureuse..."
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"La famille de Nicolas habite un manoir du XVIème siècle dans le petit village de Fondettes, sur les bords de Loire, tout proche de Tours. Le bâtiment est un bijou d'architecture renaissance, en pierre de tuffeau, comportant un corps de logis principal pourvu de baies étroites à meneau, flanqué de deux tourelles en retour. La toiture d'ardoises est percée de fenêtres au fronton ouvragé. Cet héritage familial mériterait une restauration. Les ardoises manquent par endroits, le tuffeau de la corniche supérieure part en poussière, le bois des menuiseries s'écaille, se disjoint. Le perron est mangé par la mousse, des touffes d'herbe s'infiltrent entre les gravillons de la cour..."
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"J'apprécie le décor et l'ambiance dans lesquels le jeune Nicolas a baigné, grandi...
De lourds tapis colorés en laine épaisse recouvrent le sol en pierre de schiste. Les hautes fenêtres aux menuiseries anciennes sont munies de volets intérieurs repliables en tableau. Au mur, sont encadrées des photos de groupes de rock emblématiques, ils offrent une touche anachronique dans ce lieu historique imprégné d'un temps révolu. Je repère la mine boudeuse du jeune Mick Jagger chevelu, les quatre membres des Who enroulés dans l'Union Jack, le sémillant Marc Bolan en pantalon satiné... Un montage de clichés, d'articles de presse sur les Stones, compose un large tableau sous verre.
Nicolas dort ici quand il s'éternise chez ses parents, il y a conservé une chaîne stéréo et quelques vieux 33 tours. Il pose un vinyl qui craque sur la platine disque. La chanson Stairway to Heaven de Led Zeppelin résonne sous le plafond voûté. La musique pure, aux accents celtiques, portée par la voix céleste de Robert Plant et la guitare délicate et somptueuse de Jimmy Page, s'élève et remplit l'espace. Je m'évade, enchantée, collée à mon chevalier, en suivant la course des nuages à travers la verrière...
« There's a lady who's sure all that glitters is gold
And she's buying the stairway to heaven
When she gets there she knows if the stores are all closed
With a word she can get what she came for
Ooh, ooh, and she's buying the stairway to heaven... »
"En fouinant chez un disquaire, j'avais déniché d'anciennes partitions des Stones, pour Nicolas, et il m'a offert un sac à main vintage, un Kelly noir. Dans la nuit avancée, nous avons regagné le donjon, sous la couette et sous la nuit étoilée...
Nico a remis un Led Zeppelin qui craque et le divin « Thank you » a développé toute sa puissance, son lyrisme et sa résonance pour notre messe de Noël :
« If the sun refused to shine, I would still be loving you
When mountains crumble to the sea, there would still be you and me... »